Le panneau délavé mis en évidence à l’entrée de l’impasse annonce une brocante, mais c’est sous le nom de « marché à la ferraille » que les habitués le désignent souvent. À Bagnolet, cette institution populaire, voisine du marché aux puces de Montreuil, propose pêle-mêle des outillages, du mobilier ancien, un bric-à-brac d’objets plus ou moins vieillots, au charme certain.
Ce lieu de récup’ où règne la débrouille, apprécié par des clients fidèles, l’est beaucoup moins de la municipalité. Le maire (PS) Tony Di Martino, qui a annoncé dès janvier vouloir y mettre fin, nourrit le projet de transformer en profondeur l’avenue Galliéni. Aujourd’hui principalement investie par quelques cafés et enseignes de restauration rapide, celle-ci a déjà commencé à changer de visage.
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Échoppes contre bureaux
En ce vendredi matin, les allées serrées du marché à la ferraille sont plutôt calmes. Il faut s’enfoncer dans l’impasse et longer les stands recouverts de bâches pour trouver, au fond du dédale, des personnes affairées autour de tables débordantes. Sortant de derrière son étalage garni de clés anglaises, perceuses et autres douilles métalliques, Marouan Bouguila s’allume une cigarette. Le nuage de fumée qu’il expulse brouille un instant l’immense blockhaus vitré qui perce le ciel et semble léviter au-dessus des frêles échoppes. Inauguré en 2023, l’immeuble de bureaux baptisé Wonder Building, seule construction moderne de l’avenue, affiche un gigantisme étrange dans l’artère aux devantures chétives.
« Depuis leurs baies vitrées, les gens qui travaillent dans les bureaux n’ont pas envie d’avoir une vue sur nous », interprète sans détour Marouan Bouguila, actif sur le marché depuis 20 ans. « Ces bureaux high tech qui nous narguent, c’est la même histoire depuis longtemps, comme pour les Halles de Paris, renifle dédaigneusement Jacky, une casquette de Titi enfoncée sur le crâne. On exclut le peuple, l’espace appartient au monde de l’argent ».
« Une volonté de faire muter le quartier »
La mairie, elle, assume vouloir opérer une « requalification urbaine » du quartier. Depuis janvier 2024, elle a donc acté la fermeture définitive du marché. Elle souhaite récupérer le terrain situé aux numéros 133/135, dont elle est propriétaire, pour une opération immobilière, dont les contours sont encore flous. « Quel que soit le projet foncier derrière, c’est sûr que ce sera toujours plus rentable que ce marché », regrette Pierre, un Bagnoletais assidu de la brocante, qu’il fréquente aussi bien pour se vider la tête que pour alimenter son propre commerce.
Le marché avait déjà dû déménager en 2018. Son ancien emplacement de 800 m2 bordant le périphérique, plus spacieux et proche des puces de Montreuil, devait être réutilisé pour un projet de bureaux. Au vu de la conjoncture économique peu propice, celui-ci a été abandonné, et c’est finalement une résidence étudiante accompagnée d’un café coworking et d’un centre de santé qui pourrait voir à l’horizon 2026, selon nos informations.
Très endettée, la ville cherche de nouvelles ressources financières. « Il y a une volonté de faire muter le quartier. Qu’il s’agisse de logements ou de bureaux, cela permettrait de trouver une nouvelle source de revenus à travers des taxes d’aménagement« , indique à actu paris une source au sein de la municipalité.
Un marché « qui tourne bien »
« La mairie devrait prendre le temps de discuter avec ces commerçants, dont le marché tourne bien. C’est même le seul marché de la ville qui est rentable. Là, les choses sont faites en force », regrette cette même source municipale.
Même avant le coup de feu du week-end, les visiteurs sont présents entre les étals. Ils livrent un témoignage unanime. « Ce lieu est un espace de liberté populaire, et qui plus est profondément écologique, puisqu’on n’y trouve que des objets récupérés dans des débarras », estime un habitué. Composée de professionnels, de collègues du marché aux puces ou de particuliers, la clientèle est variée. « Chaque week-end, on voit les mêmes visages. On boit le café ensemble. Il y a des vieux qui se baladent, des familles, des jeunes qui viennent s’équiper pour bricoler. »
« S’ils ferment, je ferme ! » s’angoisse de son côté Ramdane Elam, gérant d’un petit café de l’autre côté du trottoir. « Ce marché m’apporte toute ma clientèle. Qu’on laisse ces pauvres gens travailler », s’emporte-t-il.
Des nuisances invoquées par la Ville
De son côté, la municipalité justifie la fermeture par de nombreuses nuisances liées au marché : « Parking sauvage engendrant d’importantes difficultés de circulation sur l’avenue, dépôts sauvages et autres déchets jonchant la rue les jours de marché… »
Des nuisances qui compromettent également la perspective d’un éventuel relogement : « Il a été envisagé de déplacer le marché à la ferraille, mais ce déplacement implique de simplement changer l’emplacement des nuisances susmentionnées » indique la majorité municipale dans son rapport.
Dans les rues de Bagnolet, les riverains croisés ce jour-là ne semblent pourtant pas voir d’un mauvais œil cette activité historiquement ancienne. « Comme les puces de Montreuil, ces marchés ont toujours attiré les foules. Ça engendre les mêmes désagréments qu’un marché classique. Mais dans l’ensemble, c’est un endroit calme » estime un passant. « Depuis janvier, les agents municipaux passent moins pour ramasser les poubelles », observent les commerçants.
Des recours en justice
Face à la menace d’une fermeture, la résistance s’organise. Le marché, qui compte 42 commerçants, est soutenu par la Fédération nationale des marchés de France (FNMF).
Le premier arrêté du maire déclarant la fermeture du marché a fait l’objet d’un recours auprès du tribunal administratif. Pour éviter l’expulsion, les commerçants ont organisé un siting pendant deux semaines, en passant la nuit sur place. « La ville a fait venir la police, mais elle n’a rien fait, puisqu’elle n’avait pas le droit légalement d’expulser le marché », retrace Djamel Zidani, président du syndicat du marché aux puces de Montreuil, qui suit le dossier auprès de la FNMF.
La mairie a finalement annulé son arrêté le jour de la décision du tribunal, avant d’approuver à nouveau la fermeture définitive du marché à la ferraille au 1er juin, lors du conseil municipal du 4 avril, sans en informer ensuite la FNMF comme elle l’avait pourtant écrit. Un second recours auprès du tribunal administratif est toujours en cours. « Le marché ne va pas fermer », assure Djamel Zidani, confiant.
Sur les étals, l’avenir semble plus flottant, alors qu’une large partie des commerçants aurait déjà plié bagage, selon la municipalité. « Il y aura toujours des recours. Mais ils [la municipalité, ndlr] seront toujours derrière nous. On peut gagner du temps, mais dans un an ou deux, ils reviendront à la charge. On a tout fait pour se protéger, mais j’ai peur que ce ne soit pas suffisant », estime Marouan Bouguila.
Le vendeur se prépare donc à « devoir changer de métier », anticipant des mois de galère. « On a tous des boxes de stockage en location, des crédits à la banque, des familles à nourrir… On ne sait pas ce qu’on va devenir ». Contactée, la municipalité n’a pas répondu à notre demande d’interview.
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