Il évoque ce mois-ci le premier jour des combats de la libération de l’Île-de-France, le samedi 19 août 1944, ainsi que la tactique militaire adoptée par le commandement des Forces françaises de l’Intérieur (F.F.I.) placées sous les ordres du colonel Rol-Tanguy.
L’ordre général de l’insurrection
Samedi 19 août 1944, les Franciliens se soulèvent, conformément aux ordres reçus de l’état-major régional. Le colonel Henry Rol-Tanguy (1908-2002) adresse en effet son ordre général, aux chefs F.F.I. des départements de la Seine, Seine-et-Oise et Seine-et-Marne, mais également aux chefs des mouvements de la Résistance implantés en Île-de-France : Ceux De La Libération (C.D.L.R.), Ceux De La Résistance (C.D.L.R.), Francs-Tireurs et Partisans (F.T.P.), Libération, Organisation Civile et Militaire (O.C.M.), Comité de Libération de la Police, Organisation Militaire Armée (O.M.A.), Forces de gendarmerie de l’Île-de-France :
« 1°- Toutes les forces F.F.I. patrouilleront dans Paris et toute la Région P. 1 [Île-de-France], à dater de ce jour [19 août], 12 heures. 2°- Tous les véhicules nécessaires seront réquisitionnés pour assurer la mobilité de ces patrouilles. 3°- Les itinéraires et leur fréquence seront calculés pour que les patrouilles puissent se prêter mutuellement appui. 4°- Les bâtiments publics, les usines, les magasins généraux, les centraux, les gares, etc., seront occupés partout où cela est possible. 5°- Les troupes des F.F.I. dans lesquelles sont comprises les forces de police, de la gendarmerie [départementale], de la garde républicaine, des G.M., arboreront le brassard F.F.I. Se pénétrer du principe que le succès est fonction du nombre, qu’un recrutement massif doit être entrepris immédiatement. Tous les hommes aptes doivent être incorporés dans les F.F.I., en exécution de l’Ordre de mobilisation générale joint [en italique dans le texte], ordre qu’il faut faire imprimer et afficher dans la Région P.1. La mission des F.F.I. de la Région P. 1 est : Ouvrir la route de Paris aux armées alliées victorieuses et les accueillir ».
Cet ordre est explicité par deux notes :
« Le succès de l’insurrection nationale dépend avant tout de la volonté consciente de la masse de la population d’entrer dans la lutte. Les opérations des F.F.I., indépendamment de l’appui qu’elles sont destinées à donner aux opérations alliées, doivent constituer l’offensive préparatoire à l’insurrection nationale. Pour atteindre ces résultats, il faut que ces opérations : a) reçoivent chaque jour davantage d’appui, sinon la participation de la population ; b) que la population soit protégée contre les représailles ennemies. Pour cela, il faut que l’action F.F.I. soit multiple et étendue, car l’ennemi n’envisagera pas une répression généralisée dont les risques seraient trop grands pour lui. Dans ce but, les équipes doivent avoir pour mission d’intervenir immédiatement, à titre de représailles, en cas d’arrestations en masse, ou de massacres. Ces équipes seront en liaison étroite avec les Milices patriotiques » (Note n° 152/3).
Dans la seconde note, le chef régional de l’Île-de-France attire l’attention sur « 1° l’ordre formel d’organiser des patrouilles F.F.I. ayant mission d’attaquer les Allemands isolés ou les détachements légers, et de créer un état d’insécurité permanent chez l’ennemi, et d’interdire tous ses mouvements : 2° de suivre la situation et faire intervenir les groupes francs sur les points attaqués, particulièrement par l’ennemi ; 3° de donner toutes instructions pratiques pour réaliser l’ordre de mobilisation générale, par l’intégration dans les F.F.I. de toutes les formations anciennes et nouvelles ; 4° rendre compte ».
L’ordre particulier de la mobilisation générale
« 1° Le Commissaire délégué du Gouvernement Provisoire de la République Française, en accord avec le Comité Parisien de Libération rappelle que toutes les formations organisées des mouvements de Résistance, ou encore hors de ces mouvements, font partie intégrante des F.F.I., ainsi que toutes les forces de police, de gendarmerie, etc., et sont placées pour les départements de la Seine, Seine-et-Oise, Seine-et-Marne et Oise, sous les ordres du colonel Chef régional Rol-Tanguy.
2° Doivent se mobiliser tous les hommes de dix-huit à cinquante ans, en état de porter les armes. Ils devront, par entreprises, rues, quartiers, localités et arrondissements, se former en groupe de combat de huit hommes, qui désigneront leurs sergents, chefs de groupes, en détachements, etc. Ils prendront contact avec la formation F.F.I. la plus proche en vue de leur utilisation dans l’action : mission de combat ou de protection des services publics, centrales, service des eaux.
3e Toutes les armes stockées ou détenues individuellement doivent être réparties aux combattants. Les actions, tant individuelles que collectives, doivent se développer pour arracher leurs armes aux Allemands et aux Miliciens de Darnand. Il faut s’armer en désarmant l’ennemi.
4° L’action doit être généralisée sur tous les objectifs ennemis : transports, communications, transmissions et forces isolées, en utilisant tous les moyens de fortune : armes blanches, clous, crève-pneus, bouteilles incendiaires, abattis d’arbres. Français, tous au combat ! Ouvrons la route de Paris aux armées alliées victorieuses. Vive de Gaulle ! Vive la République ! Vive la France ! »
La tactique de la guérilla
Conformément aux directives qu’ils ont reçues, les F.F.I. adoptent les techniques de la guérilla. Des groupes, constitués de petites équipes de deux à quatre hommes, ont pour mission de harceler les détachements ennemis à pied ou en véhicule. Les actions les plus importantes (coup de main sur une caserne, par exemple) sont du ressort d’un ou plusieurs » groupements d’attaque « . Un groupement ou section comprend, en principe, trois groupes : un groupe d’attaque, un groupe de nettoyage, dotés tous deux de pistolets mitrailleurs et de grenades, et un groupe de protection (ou d’appui) équipé d’un fusil-mitrailleur. Chaque groupe compte huit à douze hommes. Dans le mémento sur le combat de rue que diffuse le commandement des F.F.I., il est dit que « le parti qui s’assure la possession des étages supérieurs et des toits, est maître de la rue. Les mouvements débordants par les rues adjacentes sont à la base du combat de rue. Dans l’attaque, il y a intérêt à progresser sur le côté droit de la rue, par réciproque, à l’obligation pour le défenseur de placer ses armes automatiques sur le côté gauche de la rue par mesure de protection. Dans le combat de rue, une opération se décompose en autant d’actions qu’il y a de rues ou de blocs d’immeubles. Les objectifs sont limités et il ne faut pas passer à une nouvelle action avant d’avoir complètement terminé le nettoyage et l’occupation d’une rue ou d’un bloc d’immeubles. Plusieurs groupements d’attaque peuvent participer à une même action. Dans ce cas, l’action d’ensemble est coordonnée par un même chef… ».
L’implantation des forces allemandes dans la capitale
Ces groupements ou sections ont vocation de combattre les forces allemandes dans les principaux îlots d’immeubles qu’ils occupent, délimités par : avenue Foch, avenue Bugeaud, rue de la Pompe, avenue Victor-Hugo, rue de Longchamp, boulevard Flandrin ; avenue Malakoff, avenue Foch, boulevard de l’Amiral Bruix ; place de la Concorde, rue Saint-Florentin, rue Saint-Honoré, rue Royale, boulevard Malesherbes, rue de la Boétie, avenue des Champs-Élysées ; place de la République ; Hôtel Majestic ; Chambre des députés ; Luxembourg.
Il importe aussi que les services de la Gestapo et du S.D. (services de renseignements de la SS) soient complètement paralysés. La Gestapo s’est établie dans plusieurs endroits, notamment : dans le 16e arr. : 74, avenue Foch, rue des Belles Feuilles (à hauteur de la rue Henri-Meunier), rue du colonel Bonnet, rue des Pâtures, rue de Bassano, place des États-Unis (à l’angle de la place et de la rue Galilée) ; dans le 8e arr. : rue de Courcelles (garage face à la rue de Lisbonne), hôtel Bradford, rue Saint-Philippe-du-Roule (police anti-terroriste), rue des Saussaies (ministère de l’Intérieur), 1, rue Rabelais et hôtel en face de la rue Rabelais (annexes de la rue des Saussaies) ; dans le 3e arr. : hôtel Moderne, 8, place de la République.
Le Sicherheitsdienst (S.D.) a son siège 11, rue des Saussaies, dans le 8e arrondissement, et 76, avenue Foch, dans le 16e. Il possède des bureaux à l’hôtel Lutétia (boulevard Raspail, 6e arr.), à l’hôtel Victoria, à l’hôtel Chatam (rue Volney, 2e arr.), à l’hôtel Édouard VIII (près de l’Opéra), à l’hôtel Chambord (sur les Champs-Élysées), à l’hôtel Scribe (rue Scribe, 9e arr.) et à l’hôtel Georges V (Avenue Georges V, 8e arr.). Assurément, ces » messieurs » apprécient le grand luxe de nos prestigieux hôtels.
L’état-major des F.F.I. a prévu de s’emparer, le plus rapidement possible, des stocks de subsistance de l’armée allemande, des services publics – ministères, mairies, bureaux de poste, centraux téléphoniques – et des usines nécessaires à la vie des populations. Les installations relatives à l’alimentation en eau potable, les centrales électriques et les usines à gaz faisaient l’objet d’un plan particulier de protection.
En ce bel été de l’année 1944, manches de chemise retroussées, les combattants français de l’intérieur arborent fièrement le brassard des F.F.I. Coiffés parfois d’un casque de la guerre de 14 ou de pompier, malgré un armement sommaire, ils sont très enthousiastes. Le plus grand danger qui les menace est constitué par les blindés allemands. Aussi, des spécialistes de la lutte anti-char se sont préparés à les affronter à l’aide de la grenade antichar Gammon, du paquet de pétards ou de la bouteille incendiaire (appelée également Cocktail Molotov). Cette dernière, simple d’emploi, a la préférence des F.F.I. Ceux qui ont une expérience dans le combat antitank – anciens militaires ou anciens combattants de la Guerre d’Espagne – forment leurs camarades et montrent l’exemple.
À Paris, le 19 août tôt le matin, des coups de feu partent de divers quartiers. Dans celui de la Cité, le drapeau tricolore est hissé sur l’Hôtel-Dieu et Notre-Dame. Une foule hurle davantage la Marseillaise qu’elle ne la chante et des cris de » Vive la France » fusent de partout.
Les milices patriotiques, pourtant très peu armées, s’assurent des Halles, défendent les dépôts de nourriture, occupent la Poste centrale de la rue du Louvre et protègent l’usine à gaz de la Villette que les Allemands tiennent à faire sauter.
Vers 10h, les policiers F.F.I. s’emparent de la préfecture de Police et, comme le souligne un témoin, organisent aussitôt sa défense : sur les toits, des tireurs ; en sous-sol, des postes de secours et des abris et, entre les deux, quatre bons étages sans ascenseur, quatre mille hommes environ plus ou moins débraillés compte tenu de la chaleur.
Certains gars ont vraiment des drôles de têtes et portent des armes impressionnantes.
Ceux qui ont des armes se sont postés aux fenêtres garnies de sacs de sable ou de banquettes de bois.
Des F.F.I. tirent sur des voitures de la Wehrmacht qui circulent à vive allure sur les boulevards Saint-Germain et Saint-Michel. Postés derrière des sacs de sable de la défense passive, au coin de la rue Soufflot et de la rue Saint-Jacques, des hommes visent les soldats qui tiennent le Sénat et le Jardin du Luxembourg. Des automobiles transportent des F.F.I. en tous sens. Avec les six groupes qu’il commande, le gendarme Simon attaque les Allemands dans toute la capitale.
Les combats deviennent peu à peu acharnés. Un témoin raconte que, vers 16h, un Allemand pourchassé cherche à se réfugier dans un hôtel de la rue Serpente : « Ses cris étaient inhumains, des cris de bête qu’on égorge… ».
L’insécurité étant totale pour les troupes allemandes, celles-ci se regroupent. Les isolés rejoignent hâtivement leurs unités. Ils abandonnent leurs dépôts de vivres ou les incendient. Les anciens magasins Dufayel – un important entrepôt de l’Occupant, situés boulevard Barbès, que des soldats de la légion géorgienne de la Wehrmacht (Ostlegion) s’apprêtent à détruire, sont sauvés, juste à temps, par les résistants.
Des détachements ennemis sont également attaqués dans de nombreuses communes de la proche banlieue – Saint-Denis, Neuilly-sur-Seine, Vitry-sur-Seine, Aubervilliers, Stains -, ainsi qu’en Seine-et-Oise et en Seine-et-Marne.
Au lieu-dit » La Faïencerie « , les résistants de Bourg-la-Reine ouvrent le feu sur un side-car monté par un lieutenant et un simple soldat, en mission de liaison entre Soissons et l’état-major de la 7e armée allemande. L’officier est tué. Des voitures ennemies empruntent la » Grande Rue « , essuient des tirs et répliquent en lançant des grenades sans s’arrêter. Une conduite intérieure Peugeot 202 légère, de la Wehrmacht, est criblée de balles. Ses passagers, blessés, parviennent à s’échapper en abandonnant des armes.
À Pantin, les forces de la Résistance installent un P.C. dans l’usine de peinture de la Seigneurie où se trouvent entreposés un stock de produits inflammables, des explosifs et du carburant, qu’ils sauront utiliser à bon escient.
À Saint-Denis, des barricades sont installées ; les ponts, la gare, les usines de gaz et la centrale électrique de Playel sont sous le contrôle de la Résistance. Les ouvriers de l’entreprise Van de Walle creusent des tranchées devant la centrale électrique de Playel. Les F.F.I. font dérailler des wagons pour immobiliser des convois allemands en provenance de la gare de La Chapelle. Ceux de la Plaine et de La Chapelle capturent un train de marchandises, participent avec leurs camarades du 18e arrondissement à l’attaque d’un convoi automobile de la Wehrmacht.
Aux magasins généraux (vin, bois, fer, charbon) de Charenton-le-Pont, 61, rue Doria et quai de Bercy, des F.F.I. font prisonniers les soldats de garde.
Au Pré-Saint-Gervais, un capitaine et deux sous-officiers de la Wehrmacht sont tués par les gendarmes de la brigade locale..
À Sucy-en-Brie, le groupe El Alamein endommage plusieurs infrastructures utiles à l’adversaire, en particulier un pont sur la route de Bonneuil-sur-Marne.
À Clamart, vers 13h, le groupe franc du maréchal des logis-chef de gendarmerie Edmond Laudy neutralise un camion de la Wehrmacht, capture trois soldats et enlève plusieurs armes, dont un canon antichar et trois fusils mitrailleurs avec leurs munitions.
Un groupe F.F.I., commandé par le brigadier de police Henri Gros, du commissariat de Sceaux, et celui du chef Laudy préparent l’attaque d’un détachement allemand qui a été repéré dans le bois de Clamart, au lieu-dit » Le Tapis Vert « . Vers 14h30, les résistants s’approchent de leur objectif sans s’être fait remarquer, puis ouvrent le feu. L’effet de surprise ayant joué, dix fedlgraus sont capturés avec un important butin (fusils, mitraillettes, cartouches et grenades). Mais la fusillade a été entendue par une section de S.S. qui, appuyée par deux engins blindés, fait mouvement vers le détachement F.F.I. Le combat s’engage dans la zone boisée et, au bout de deux heures d’échanges de coups de feu, les F.F.I. préfèrent décrocher, après avoir eu six tués et huit blessés. Pour que ce désengagement se passe au mieux, quatre volontaires – Henri Gros, Michel Weishaar, Adalbert Sipos et Georges Lionnet -, demeurent courageusement en couverture, face aux Allemands. Alors que leurs camarades ont pu battre en retraite grâce à leur action, ils sont capturés lors de leur propre opération de décrochage. Leur sort est immédiatement décidé par l’ennemi : au lieu-dit Le soleil, ils sont fusillés.
En Seine-et-Marne, les maquisards accrochent des éléments ennemis à la ferme Saint Gervais, commune de Bussy-Saint-Martin, à Voulx et à Souppes-sur-Loing. Des artificiers allemands, qui tentent de faire sauter les ponts du Loing, sont contraints de se retirer sous le feu des F.F.I.
À Lorrez-le-Bocage, Pierre Muller commande son groupe face à un ennemi supérieur en nombre. Par le feu précis de son fusil-mitrailleur, il provoque l’incendie d’un camion et d’un side-car, ainsi que l’anéantissement d’une vingtaine de soldats. Dans le même secteur, le groupe du gendarme Brossard tue dix-neuf Allemands.
Au milieu de l’après-midi, les nouvelles qui affluent à l’état-major régional des F.F.I., rue Schœlcher, sont plutôt satisfaisantes. La rébellion bat son plein. Partout, des accrochages ont lieu entre les forces allemandes et celles de la Résistance.
La bataille est chaude dans le quartier de la Cité. À l’Hôtel-de-Ville de Paris, le drapeau tricolore flotte. Les policiers tiennent toujours les bâtiments de la préfecture de Police, malgré la concentration des feux de trois chars sur la grande porte d’entrée située en face de la cathédrale Notre-Dame.
À 14h, dans le secteur de la préfecture de Police, de très nombreux coups de feu claquent. Les premiers blessés arrivent au poste de secours, en sous-sol. Les brancardiers de l’Hôtel-Dieu viennent chercher les blessés à opérer d’urgence. Ce transfert est des plus périlleux car les balles pleuvent partout. Vers 16h, pendant que des boissons chaudes sont distribuées aux assiégés, l’ennemi envoie un obus contre le bâtiment. Une salle est soufflée : carreaux brisés, portes arrachées, etc. Certains combattants commencent à être désemparés car ils ont peu de fusils et de munitions.
Tenez jusqu’à 21h. Les Américains viennent cette nuit !
La 2e DB du général Leclerc est hélas encore loin.
La Résistance organise partout des patrouilles de reconnaissance pour recueillir des renseignements sur l’activité ennemie. À Paris, les forces allemandes aptes à manœuvrer se sont regroupées sur six points principaux : gares du Nord et de l’Est, boulevard Magenta, République, autour de l’Hôtel-de-Ville et Sénat. En banlieue, elles se retranchent dans des casernements plus ou moins bien protégés. Cependant, quelques unités sont encore isolées. Ainsi, à Pantin, des Allemands se sont enfermés dans les locaux de l’École professionnelle de jeunes filles du 147, rue de Paris.
En fin d’après-midi, la situation se gâte à la préfecture de Police. Les munitions sont presque épuisées. Aussi, des hommes partent en chercher à l’extérieur. Quelques-uns, inquiets abandonnent la défense du site. Certains s’enfuient par le métro ou par les égouts. À 18h30, pour économiser les munitions, l’ordre est donné de ne faire feu que pour se défendre.
L’instauration d’une trêve
À la demande des dirigeants gaullistes et des chefs de la préfecture de Police, le consul de Suède Raoul Nordling contacte, en début de soirée, le major Emil Bender – un officier de l’Abwehr dissoute et chef du contre-espionnage allemand à Paris – en vue de proposer une trêve. Un curieux personnage ce Bender, alias Bobby, qui a endossé la couverture d’un représentant d’une usine à papier suisse. Il n’hésite pas à acheter des œuvres d’art qu’il revend pour payer ses informateurs. L’officier est un agent double qui travaille au profit des Alliés, depuis 1942. Comme son chef, l’amiral Wilhelm Canaris, il est membre, depuis 1941, d’un réseau antinazi nommé par la Gestapo » Die Schwarze Kapelle L’Orchestre Noir) « .
Un deuxième officier allemand, le lieutenant Erich Poch-Pastor, interprète de von Choltitz, d’origine autrichienne, influence également le commandant du Grand Paris dans un sens favorable aux F.F.I. Lui aussi est un agent des Alliés, membre de l’Office of Strategic Services (O.S.S.), soit le Bureau des Services Stratégiques, l’ancêtre de la Central Intelligence Agency (C.I.A.) ; à ce titre, il est en contact étroit avec le lieutenant-colonel Lorrain-Cruze, un camarade de Jacques Chaban-Delmas à l’Inspection des finances. De son côté, Bender obtient de von Choltitz le principe d’une suspension des combats de courte durée : une demi-heure pour ramasser les blessés. Bender ajoute que son supérieur a laissé entendre que cette suspension peut se prolonger.
Léo Hamon, responsable de la défense de la préfecture de Police et vice-président du Comité Parisien de Libération est avisé par téléphone, quatre heures plus tard, du résultat de la tractation. Par l’intermédiaire de Nordling, Hamon réclame alors que les édifices occupés par la Résistance ne soient plus attaqués, qu’il n’y ait plus d’exécutions de prisonniers et que les pompiers, sur qui les soldats allemands s’amusent à tirer, puissent éteindre l’incendie des Grands Moulins de Pantin qui s’est allumé à 21h30, suite à l’explosion d’une péniche militaire sur le canal de l’Ourcq.
Il est certes difficile d’informer tous ceux qui se battent, des négociations entreprises avec le commandant du Grand Paris. Il est, en outre, anormal que le colonel Rol-Tanguy, lui-même, soit dans ce cas.
Je n’ai pas été avisé des négociations qui ont conduit à cette trêve. Je sais que M. Nordling, consul de Suède, et les services d’Oronte [Roland Pré] l’ont conclue. Je suis un soldat. Tout pour parler avec l’ennemi, en temps de guerre, est une faute contre la Nation. Seul, le commandement militaire peut être autorisé à conclure une trêve, mais, au moins, doit-il en être informé. Le commandement militaire est d’ailleurs le seul juge, en ces matières, puisqu’il est le seul à posséder les éléments d’appréciation indispensables pour envisager la situation des forces en présence.
Rol-Tanguy est irrité par ce dysfonctionnement qui existe entre l’autorité militaire, c’est-à-dire lui-même, et l’autorité civile. Les cadres F.F.I. de la Seine-et-Marne ne sont pas, non plus, informés de cette trêve. Il en est de même en Seine-et-Oise. Dès lors, pour faire connaître la décision commune de la suspension du feu, Léon Hamon fait annoncer la trêve par des voitures à haut-parleur de la préfecture de Police dans lesquelles sont embarqués des policiers français et des soldats allemands. À l’Hôtel-de-Ville, à 13h35, le 19 août, un garde républicain sonne au clairon » le cessez-le-feu « . À la préfecture de Police, la cessation des combats est claironnée par un brigadier de police.
Bilan de cette première journée de l’insurrection francilienne
Ces premiers combats ont montré la farouche détermination des combattants de la Résistance. L’ennemi n’est plus le seul maître du jeu. Cette ferme résolution renforce incontestablement la position des représentants civils du Gouvernement Provisoire de la République Française dans leurs négociations avec von Choltitz. Obtenant plus qu’ils ne l’ont certainement envisagé, ils conviennent de respecter la trêve passée avec l’autorité occupante. À cet effet, le 19 août, Alexandre Parodi, représentant du Gouvernement provisoire de la République française, présidé par le général de Gaulle, adresse à l’état-major de Rol-Tanguy un ordre manifestant leur volonté d’exercer une certaine suprématie dans la direction des opérations militaires.
Le 19 août au soir, le sang a beaucoup coulé. Rien qu’à Paris, le bilan de la journée est de cent vingt-cinq morts et de quatre cent soixante-dix-neuf blessés pour les Français, et de quarante tués avec soixante-dix blessés pour les Allemands. Dans la nuit, un calme relatif s’étend sur l’Île-de-France. Mais la trêve ne dure pas. La cessation totale des combats ne se réalise que le 31 août, date où les dernières poches de résistance allemandes de l’Île-de-France sont définitivement réduites.
Jean-Paul Lefebvre Filleau
L’auteur dédicacera son livre Les combats de la libération de l’Île-de-France, 19-31 août 1944 (Éd. de l’Histoire, préface de Sébastien Lecornu, ministre des Armées), le 7 septembre, à partir de 10h, à la FNAC de Saint-Marcel, et le 21 septembre, à partir de 14h, à l’Espace culturel de Leclerc, à Vernon.
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