L’autrice de Saison des Roses et Rosigny Zoo (Éditions FLBLB), Chloé Wary, avait été sollicitée par la médiathèque Jean-Jacques Rousseau et la Maison des Arts de Champigny-sur-Marne, dans le cadre d’un conventionnement avec la municipalité. Il s’agissait de réaliser une fresque participative, sur un mur du parking Carnot, quai Victor Hugo, au bord de la Marne.
L’œuvre est inaugurée au début du mois d’octobre 2023 : elle présente différents personnages, dans le style reconnaissable de Wary, lancés dans un match de football ou une session de breakdance. Le décor est celui d’une ville de banlieue, « Rosigny-sur-Seine » et, sur le parcours de la fresque, se lit une inscription : « Justice pour Naël ».
Cette référence à Nahel Merzouk, mort après le tir à bout portant d’un policier lors d’un contrôle routier effectué le 27 juin 2023 à Nanterre, aurait justifié l’effacement de la fresque par la mairie. En effet, quelques jours après l’inauguration, l’œuvre disparait, recouverte de peinture blanche. Ne subsiste que la signature de Wary, laquelle subira rapidement le même sort.
« Le petit texte, de 50 cm2, “Justice pour Naël”, a été le point d’achoppement », nous confirmait une proche du dossier en novembre 2023, après un entretien organisé entre l’autrice et les services municipaux. La disparition de la totalité de la fresque, de 23 mètres au total, découlait toutefois d’une « erreur » des services techniques, assurait la mairie, et non d’une volonté de faire disparaitre l’œuvre.
Silences pesants
Ce rendez-vous de conciliation avec la mairie de Champigny-sur-Marne, le 2 novembre 2023, s’organise dans un esprit consensuel, du côté de l’autrice et de son éditeur. « Chloé comprenait que, la commande venant d’une institution, il était difficile d’assumer un tel message, mais elle voulait surtout refaire la fresque. L’objectif était de sortir par le haut et de rejouer le match. »
Le dessin de l’œuvre avait été validé, sans les inscriptions [« Justice pour Naël », donc, mais aussi « Rubiales Fuera », en référence au baiser forcé à Jennifer Hermoso de l’ex-président de la Fédération espagnole, NdR], par le commanditaire : Chloé Wary les avait ajoutées « pour ancrer son travail dans le réel et défendre ses convictions », mais « sans malice », garantissait une proche.
À la sortie de cette réunion, l’autrice a le sentiment qu’une recréation de la fresque est actée. Elle fait rapidement parvenir « une proposition de réparation pour le préjudice moral, et [je] leur soumets les différentes conditions dans lesquelles je souhaiterai élaborer la fresque (notamment une indemnité pour le préjudice moral, un montant forfaitaire pour le travail de réalisation, l’organisation d’une journée participative et d’une inauguration festive) », nous expliquait-elle.
Les réponses de la mairie se font attendre et, malgré un courrier au maire Laurent Jeanne (membre de Libres !, mouvement d’idées de Valérie Pécresse), les actes ne suivent pas. « Les délais de réponse, l’absence de consensus à propos du compte-rendu, le manque de fluidité dans les échanges… Rien n’est à la hauteur du préjudice, et le manque de considération n’est, hélas, plus à démontrer », déplorait alors Chloé Wary.
Une censure graffissime ?
À présent, l’autrice et le groupement BD du Syndicat National des Auteurs et des Compositeurs, qui l’accompagne, « prennent acte de l’échec des négociations à l’amiable et de l’entêtement de la commune à ne pas vouloir reconnaître l’atteinte à l’intégrité de l’œuvre et le préjudice moral considérable subi », d’après un communiqué.
Pour tenter de faire sortir la mairie de son mutisme, une pétition a été mise en ligne, ainsi qu’une cagnotte, en vue d’une procédure judiciaire. « Pour le moment, nous n’avons pas initié d’action, car nous réfléchissons aux meilleurs moyens de faire valoir les droits de Chloé Wary, notamment l’atteinte à son droit moral », nous détaille Me Anne-Katel Martineau, qui représente l’autrice et le SNAC BD.
Fin avril 2024, une lettre de mise en demeure a été envoyée à la mairie de Champigny-sur-Marne, « pour obtenir une réouverture de la négociation ». Depuis la réception du courrier par la municipalité, le 30 avril, le silence radio se prolonge.
« Aujourd’hui, nous considérons qu’il y a une atteinte à la liberté de la création de l’artiste qui, au nom de la liberté d’expression, peut faire passer des messages », poursuit Mme Martineau. Connue pour son travail engagé, ses prises de position « plutôt à gauche, politiquement », ses convictions féministes, Chloé Wary « témoigne de son époque, sans forcément prendre parti d’un côté ou de l’autre », souligne son avocate.
La commande artistique passée par la ville de Champigny-sur-Marne, réalisée « en connaissance de cause » et sans cahier des charges, supposait cette liberté artistique : « C’est comme si l’on demandait à un dessinateur de Charlie Hebdo de réaliser une fresque, il y laisserait forcément des messages. » Elle rappelle toutefois que sa cliente a fait preuve d’une volonté de conciliation permanente : « Si le message “Justice pour Naël” ne convenait pas au maire, il suffisait de demander la suppression de cette mention, ma cliente y aurait fait droit, elle le comprend tout à fait. »
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L’effacement « en deux temps » de la fresque participe d’un « faisceau d’indices qui fait que la thèse de l’erreur, nous n’y croyons pas beaucoup », ajoute l’avocate. D’après elle, « les dommages sont multiples pour Chloé Wary, en raison d’un préjudice moral et d’un préjudice patrimonial, mais aussi d’éventuelles retombées sur sa réputation : un commanditaire pourrait s’interroger sur l’opportunité de faire appel à elle à l’avenir. »
Les montants réclamés sont en cours d’évaluation, pour un passage à l’action dans les jours qui viennent.
Nous avons contacté la mairie de Champigny-sur-Marne, et mettrons cet article à jour en cas de réponses. Mais la municipalité n’a jamais retourné nos demandes de commentaires, déjà effectuées en novembre 2023…
mise à jour 14h30 :
Dans un communiqué de presse, le SNAC s’indigne de cette situation :
Le service public contre la liberté d’expression des artistes ?
L’autrice Chloé Wary dénonce la censure dont elle a fait l’objet par la mairie d’une commune du Val de Marne (94).
À la suite d’une commande pour la réalisation d’une fresque participative sur le mur d’un parking dans la commune de Champigny-sur-Marne, laquelle a donné lieu à une peinture de l’artiste, quelle n’a pas été la surprise de l’artiste de découvrir, environ trois jours après son inauguration, une disparition complète de ladite fresque ! 23 mètres, intégralement recouvert à la peinture blanche ! À noter que la signature de l’artiste, inscrite sur un muret adjacent, sera effacée quelques jours plus tard.
Lors d’une réunion du 2 novembre 2023 avec l’artiste, la mairie a justifié que la fresque ne convenait plus au regard de la mention suivante : « Justice pour Naël » (sic). Au lieu de contacter l’artiste pour résoudre cette difficulté et lui demander éventuellement le retirement de cette inscription sur 50 cm, la mairie a préféré commander le masquage de ladite mention, ce qui aurait donné lieu au recouvrement entier de la fresque « par erreur ».
L’artiste et le SNAC prennent acte de l’échec des négociations à l’amiable et de l’entêtement de la commune à ne pas vouloir reconnaître l’atteinte à l’intégrité de l’œuvre et le préjudice moral considérable subi par l’autrice. Aujourd’hui, Chloé Wary a saisi l’avocate Anne-Katel Martineau du cabinet Alain Bensoussan pour sa défense, avec le soutien plein et entier du SNAC et des auteurs et autrices qui composent son Conseil, afin de protéger son droit moral et sa liberté de création artistique, mise à mal par les décisions de la commune.
« L’effacement est une mission qui nécessite de la réactivité, une planification opérationnelle, du matériel et des infrastructures. S’il existe de nombreuses méthodes pour effacer un graffiti, la plus répandue d’entre elles reste probablement le recouvrement. Il consiste à faire disparaître la marque indésirable sous une couche de peinture plus ou moins épaisse et dont la teinte correspond plus ou moins à celle du support. Il ne s’agit pas d’un effacement au sens propre, mais plutôt d’un masquage, d’une dissimulation. »
Extrait de l’ouvrage Antigraffistime de Jean-Baptiste Barra et Timothée Engasser, éd. Le passager Clandestin, 2023.
> LIENS UTILES <<<
• CAGNOTTE : https://www.lepotcommun.fr/pot/kykj39ij
• PÉTITION : https://chng.it/gD24YtWRwM
Photographie : la photo de l’« après », une fois la fresque effacée par la mairie de Champigny-sur-Marne (Chloé Wary)
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