Nature, isolement, sérénité ! L’abbaye n’a rien perdu de son charme, ni le jardin de son éclat. Au bord de la route qui mène à Royaumont, à travers la forêt, des « détecteurs de faune » ont été installés. Nous sommes dans le parc naturel Oise-Pays de France, où la vie sauvage est abondante, aujourd’hui comme il y a huit siècles.
Le matin et le soir, confie Nathalie Le Gonidec, l’archiviste du domaine qui nous accueille, il faut faire attention aux sangliers et aux chevreuils. « Mais à l’automne, quel bonheur que d’entendre le brame du cerf surgi des brumes ! »
Un lieu en transformation perpétuelle
Après avoir contourné sur plusieurs kilomètres le mur d’enceinte, nous accédons à l’abbaye par l’est. Une grille, imposante entre deux larges piliers carrés, marque l’entrée du domaine depuis… 1992 ! Auparavant, il y avait à cet endroit un saut-de-loup, qui ouvrait une vue dégagée sur le paysage, mi-bois mi-marécages. Le ton est donné : Royaumont est en transformation perpétuelle. Autour de ses pierres du XIIIe siècle, c’est un palimpseste de travaux, rénovations et restaurations ininterrompus, qui raconte les époques et les bifurcations de son destin. Désormais, ici, c’est l’accès principal. Pour les dizaines d’artistes en résidence ou en représentation qui s’y succèdent au fil des saisons, pour les 65 permanents qui animent le lieu, pour les 60 000 visiteurs annuels du monument historique, enfin pour les hôtes qui viennent se restaurer et passer la nuit dans les anciennes cellules des religieuses… Au XIIIe siècle, l’abbaye mène plusieurs vies parallèles.
La tour rescapée de l’abbatiale
Autrefois, la « porterie », le seul accès sur le monde, était à l’opposé, côté ouest. Saint Louis, comme tous les visiteurs du lieu, arrivait face au porche de l’église abbatiale et au bâtiment des frères convers – en charge des tâches manuelles et domestiques. La partie du site que nous traversons maintenant pour entrer était le domaine réservé des cisterciens, celui auquel personne d’extérieur n’accédait. Devant nous, au bout d’un canal rectiligne, c’est le bâtiment des moines, imposant avec ses 65 mètres de long, là où la communauté se réunissait, travaillait, dormait… À droite, entre deux hauts arbres, on distingue une fine tour déchiquetée qui domine les lieux, à 36 m de haut : c’est presque tout ce qui reste de l’église abbatiale, détruite à la Révolution.
La vie du cloître
Nous entrons par « le passage de l’abbé », qui traverse le bâtiment des moines et donne accès au cloître. Les voûtes résonnent des cris d’une classe en plein jeu de pistes – 15 000 à 20 000 enfants sont accueillis chaque année. Nathalie Le Gonidec montre sur les murs les traces laissées par l’axe d’une grande roue à aubes qui faisait tourner ici une filature textile, à la fin du XVIIIe siècle. Après le départ des cisterciens et la transformation de l’abbaye en usine, un canal creusé spécialement coulait à travers le cloître et sous nos pieds, pour fournir l’énergie hydraulique nécessaire aux « mules jennies », les machines utilisées pour filer le coton.
Sous ce porche, nous sommes, symboliquement, à la croisée des multiples chemins qu’emprunte aujourd’hui Royaumont : « Abbaye & Fondation », comme il est indiqué sur le panneau d’entrée. Tout droit, c’est le monument médiéval qu’on visite, le cloître, les cuisines, les réfectoires… À droite, une partie de l’ancienne salle du chapitre, où se réunissaient les moines, est devenue la bibliothèque Henry et Isabel Goüin, du nom des derniers propriétaires du domaine qui ont créé la fondation en 1964, avant de lui léguer l’abbaye.
Les livres sont installés contre les murs, jusqu’à plusieurs mètres de hauteur, mais la pièce a aussi d’autres usages. Un magnifique clavecin d’inspiration ancienne est installé dans un coin, plusieurs autres sont rangés à côté : ils témoignent d’une masterclasse qui vient d’être organisée pour un groupe de musiciens. Cette salle, comme une quinzaine d’autres dans toute l’abbaye, accueille périodiquement les artistes, musiciens, chanteurs, en répétition ou en formation.
Un hôtel pas comme les autres
À gauche sous le porche, troisième vocation des lieux, c’est la réception d’un hôtel pas comme les autres. Dans les étages, des cellules occupées par des religieuses à la fin du XIXe siècle – après la fin de l’activité textile – ont été transformées en chambres. Demandez la 110, celle dite de Saint Louis, avec sa haute voûte et sa lumière tamisée par un impressionnant vitrail : un véritable voyage dans le temps. « En réalité, précise Nathalie Le Gonidec, c’était sans doute la chambre de l’abbé du temps des cisterciens, reconvertie en oratoire par les sœurs. Mais ici, il est parfois difficile d’avoir des certitudes, tant les aménagements ont varié au fil des siècles. » Un soupçon de mystère flotte entre les pierres ! Dans les couloirs et dans les étages, les clients d’un soir croisent des artistes et des cadres en séminaire, entre les murs mêmes où, au XIIIe siècle, plus de 100 moines dormaient dans un unique et immense dortoir… La possibilité de ce télescopage ne fut pas une mince affaire. Ce fut un long chantier pour rénover 40 chambres dans les années 1980, puis en créer treize nouvelles dans les décennies suivantes. Mais ici, les gros travaux, c’est presque la routine.
Le réfectoire des moines
« Nous y consacrons en moyenne un million d’euros chaque année », confirme Frank Magloire, directeur adjoint de Royaumont, qui, comme Nathalie Le Gonidec, hante les lieux depuis plus de trente ans. « Ce qui est passionnant, poursuit-il, c’est l’alternance des gros chantiers liés au monument historique, et des aménagements pour tous nos usages. C’est chaque fois une nouvelle aventure. » Prenons le réfectoire des moines, situé au sud du cloître, une des pièces la plus majestueuse de l’abbaye : plus de 500 m2, avec des voûtes qui montent à presque 10 m de haut. Transformé en ateliers et séchoirs après la Révolution, puis en chapelle par les religieuses au XIXe siècle, il a été entièrement restauré en 2001 et 2002 dans l’esprit médiéval. Voûtes et murs ont été brossés et rejointoyés.
À défaut d’information sur le sol d’origine, 40 000 carreaux ont été fabriqués par un céramiste suivant les techniques du XIIIe siècle et décorés de motifs unis ou héraldiques inspirés de l’époque. Si vous cherchez bien, vous devriez trouver ici la figure d’un lion couronné, évocation de Louis VIII, dit le Lion, le père de Saint Louis qui, sur son lit de mort, avait voulu la création du monastère ; là, une tour stylisée reprenant les armoiries de Blanche de Castille, la mère de Saint Louis, qui participa à son édification. Sous les carreaux, pour les besoins d’aujourd’hui, un chauffage surfacique a été installé. Et sur les voûtes, on aperçoit de discrets points de fixation, amovibles bien sûr, sur lesquels on accroche les grilles portant les équipements sonores et d’éclairage lorsque le réfectoire se transforme en salle de spectacle. L’art de marier l’histoire à la modernité.
Une autre restauration révèle un détail remarquable. Au premier étage du bâtiment des latrines, qui était attenant au dortoir des moines et qui a été rénové dans les années 90, une série de larges dalles transparentes ont été posées au sol pour marquer l’emplacement des sièges d’aisance qu’utilisaient les religieux. En se penchant, si on n’est pas sujet au vertige, on peut ainsi voir, dix mètres plus bas, le canal qui servait alors à l’évacuation des latrines.
Le mur sud entièrement restauré
« Et là, sur la pierre, vous voyez ces deux zones presque circulaires d’une teinte différente, c’était l’emplacement des énormes charnières du portail d’entrée. »
Mais le chantier le plus récent, qui s’est achevé au printemps 2024, c’est la réfection complète de l’immense mur sud de l’abbatiale, qui surplombe toujours le cloître. L’entreprise Varnerot, spécialisée dans la restauration de monuments historiques, a œuvré pendant un an et demi. Coût : 1,5 million d’euros. Les pierres ont été nettoyées par hydrogommage, les fissures ouvertes puis rejointées à la chaux, les blocs de pierre trop abîmés, dont certains de 800 kg, ont été remplacés. « Les blocs neufs que nous avons installés, précise Charly Duchemin, le chef de chantier, viennent de la même carrière qu’au Moyen Âge, à Saint-Maximin, à une dizaine de kilomètres d’ici, et notez qu’ils ont exactement le même âge que ceux d’origine, soit… 46 millions d’années, l’âge du calcaire sédimentaire qui les compose ! » Au sommet du mur, on a refait les amorces des neuf culées d’arc-boutant, afin de mieux laisser imaginer la structure de l’abbatiale, ainsi qu’un chéneau de pierre qui permet l’évacuation des eaux de pluie par une série de gargouilles arrosant le toit d’une galerie du cloître.
Admiratif du travail des ouvriers du XIIIe siècle – « on a découvert une maçonnerie sans vide d’air, avec des pierres jamais lisses, choisies une par une avec le plus grand soin » –, Charly Duchemin n’hésite pas à garantir le mur ainsi « retapé » pour huit siècles de plus ! Frank Magloire, lui, s’enthousiasme pour des marques sur un mur, découvertes pendant les travaux, qui révèlent les dimensions du porche d’entrée de l’église, plus imposant qu’on ne l’imaginait. « Et là, sur la pierre, vous voyez ces deux zones presque circulaires d’une teinte différente, c’était l’emplacement des énormes charnières du portail d’entrée. » Mais déjà le directeur adjoint se projette vers les restaurations à venir : le bâtiment des convers et la ruelle qui le séparait du cloître. De nouvelles histoires de pierre à décrypter…
Le potager-jardin
Le décor est diablement romantique, et figure comme une transition entre les bâtiments et les jardins, l’autre joyau de Royaumont.
Entre son mur sud relifté et la tourelle-escalier rescapée de la Révolution, la structure de l’abbatiale est aujourd’hui matérialisée par des tronçons de colonnes déposés à l’emplacement approximatif des piliers, tandis qu’une haie d’arbustes dessine son contour dans l’herbe. Le décor est diablement romantique, et figure comme une transition entre les bâtiments et les jardins, l’autre joyau de Royaumont.
Romain Van de Walle, le jeune jardinier de l’abbaye, a son QG dans une élégante cabane en bois ; dans le nord du parc, mais au cœur de son royaume : le Potager-jardin, inauguré en 2014. « Nous avons cinq carrés de cultures où nous mélangeons tout, explique-t-il. Ici par exemple, voici côte à côte des artichauts, de l’absinthe, de la ciboule, des choux-raves. Mais nous ne les récoltons jamais, nous laissons la plante aller de la graine à la graine, aller au bout de son cycle, c’est notre réservoir à semis. » Délimitant les carrés, voici des pommiers et des poiriers « architecturés » : on modèle leur forme en liant les branches sur des fils tendus. « Voyez cet arbre formé en « palmette Legendre 3 étages », et là cet autre en « Verrier 4 bras » », détaille le jardinier, qui nous précise que cet art de la culture en espalier est entré au palmarès culturel immatériel de la France l’an dernier.
Le jardin des neuf carrés
Au sud du monastère, entouré d’une clôture d’osier vivant tressé, le « jardin des neuf carrés » accueille des collections thématiques – arbres, plantes médicinales… – s’inspirant du Moyen Âge. Au cœur de l’abbaye, enfin, le jardin du cloître n’est pas celui qui demande le moins d’efforts, avec ses alignements de buis voulus par le paysagiste Achille Duchêne, qui créa ce jardin à la française en 1912. Petite satisfaction, le jardinier de Royaumont a reçu récemment les félicitations des descendants de Duchêne, qui saluent sa manière d’entretenir le lieu. Comme les moines qui devaient subvenir à leurs besoins en cultivant leur domaine, le jardinier travaille trente « planches » de légumes, exposées plein sud au pied du mur d’enceinte, qui iront droit au restaurant pour régaler les hôtes de Royaumont. Issues des semis récoltés dans le potager-jardin et mis à germer dans une magnifique serre Belle Époque, ses prochaines récoltes augurent des menus à venir du restaurant de l’abbaye. « Je viens de fournir betteraves rouges, choux, poireaux et navets, ce seront bientôt les pois, les asperges, les salsifis, les cacahuètes aussi. »
Le restaurant
Pour goûter, direction la salle de restaurant. Mais si, vous savez, elle se trouve au rez-de-chaussée du bâtiment des latrines, tout à côté de ce qui fut une orangerie, au XVIIe ou au XVIIIe siècle, et qui faisait peut-être face, au Moyen Âge, à un bâtiment aujourd’hui disparu, sans doute une infirmerie…
Pas évident de s’y retrouver, n’est-ce pas ? « Nous avons encore beaucoup d’hypothèses à explorer sur l’architecture de Royaumont, conclut Nathalie Le Gonidec, mais c’est parce que le lieu n’a jamais cessé d’être actif, modifié et utilisé depuis huit siècles – ce qui l’a d’ailleurs sauvé de la désaffection et de la ruine. Il est aujourd’hui compliqué d’en étudier l’archéologie, alors que nous en utilisons tous les espaces. » Non, l’abbaye royale de Royaumont n’est pas un monument historique ordinaire qui resterait immobile pendant qu’on l’ausculte, elle est bien trop occupée à se réinventer encore et encore.
Abbaye de Royaumont
95270 Asnières-sur-Oise
www.royaumont.com
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