Depuis lundi 4 novembre, huit accusés sont jugés devant la cour d’assises spéciale de Paris.
Ils sont soupçonnés d’avoir participé à divers degrés à l’assassinat du professeur d’histoire-géographie.
Ce vendredi matin, plusieurs policiers, primo-intervenants et aujourd’hui parties civiles, ont été entendus.
La scène les « hante » depuis le drame. Ce vendredi matin, au procès de l’assassinat de Samuel Paty , deux policiers municipaux et un capitaine de la police nationale, intervenus en premiers sur la scène de crime, ont raconté devant la cour d’assises spéciale leur intervention, ce 16 octobre 2016, près du collège du Bois d’Aulne à Conflans-Sainte-Honorine dans les Yvelines.
TF1info revient sur le récit glaçant qu’ont livré ces trois fonctionnaires devant une salle médusée.
« Il est en train de lui couper la tête »
C’est Cécile, policière municipale depuis 2001 et sur Conflans-Sainte-Honorine depuis 2006, qui a pris la parole en premier. Ce 16 octobre 2020, elle patrouille avec Cédric, stagiaire en poste depuis un mois. Les deux décident de se rendre aux abords du collège du Bois d’Aulne, car des incidents y avaient eu lieu suite à un vol de portable quelques jours plus tôt.
À leur arrivée, il voit un groupe de jeunes mêlant filles et garçons. Cécile pense alors à une « rixe ». « Deux garçons présents, dont celui qui était habillé tout en noir et pas comme les autres, nous défiaient du regard (le terroriste, NDLR). Ils sont partis en courant et j’ai demandé à mon collègue Cédric qu’on redémarre le véhicule et qu’on les suive », raconte cette femme blonde, cheveux aux épaules, pull noir et écharpe beige sur les épaules.
L’équipage perd finalement le groupe de vue et est stoppé par un véhicule. Affolées, les personnes à bord crient ces quelques mots : « il est en train de lui couper la tête ». Les policiers municipaux regardent la scène qui se joue à quelques mètres d’eux. « Sur le coup, j’ai cru que c’était un mannequin posé au sol. J’ai croisé le regard de Samuel », décrit la partie civile en larmes. Son collègue Cédric pense alors que c’est un masque au sol, comme « c’était Halloween », mais réalise très vite qu’il s’agit d’une tête humaine.
Il fallait que personne ne puisse voir cette horreur »
Il fallait que personne ne puisse voir cette horreur »
Cécile, policière municipale
Accroupi à côté de la victime, cet homme en noir qu’ils avaient aperçu avec d’autres mineurs devant le collège du Bois d’Aulne. « Il était train de finir son acte, il était déterminé », se remémore la policière. « Il s’est relevé, il a pointé son arme sur nous et nous a tiré dessus à trois reprises. J’ai vu la déflagration de l’arme. J’ai failli mourir », poursuit-elle toujours, effondrée.
L’équipage n’a aucune arme, même pas un taser. Cécile demande à Cédric d’accélérer. « Il a accéléré, mais Anzorov nous suivait toujours avec son arme et les gamins allaient sortir. J’ai fait des appels radios, mais personne ne nous répondait. Il fallait mettre les gamins en sécurité, il fallait que personne ne puisse voir cette horreur. On a mis la voiture en travers pour que personne ne passe. Une femme m’a répondu au 17, je lui ai dit : ‘On lui a coupé la tête' », poursuit la partie civile.
La police nationale arrive sur place. « À cet instant, tout le monde ignore où se trouve le terroriste », précise Cécile. Les deux policiers municipaux restent à l’écart et sont finalement pris en charge.
« Impacté de plusieurs balles », le terroriste « se relève »
À la barre, veste noire et chemise, Jérôme, fonctionnaire de la police nationale, raconte la suite. « Les policiers municipaux nous ont dit qu’un homme était en train de se faire poignarder rue du Buisson Moineau. Là, nous attendait une vision d’horreur : un corps sur la chaussée, décapité, la tête posée à part. Elle semblait nous regarder […] J’ai compris que c’était une scène criminelle avec une tête posée à côté comme dans une mise en scène », détaille-t-il, le regard dans le vide.
Les policiers parviennent finalement à retrouver Abdoullakh Anzorov , une arme dans chaque main, et lui font plusieurs sommations. « On lui a dit : ‘au sol, au sol, jette ton arme’ des dizaines de fois, mais il refuse d’obtempérer », relate le policier. Le terroriste tire dans la direction des policiers. « J’ai eu la peur de ma vie. On avait juste un gilet pare-balles qui nous couvre le thorax et des portes de voiture, autant dire rien du tout. On s’est mis à l’abri comme on pouvait. On a réitéré nos sommations de se mettre au sol et de se coucher. Il a couru vers nous avec son arme. Je me suis demandé ce qu’on allait faire pour l’arrêter », continue Jérôme.
« Impacté une fois dans sa course », Abdoullakh Anzorov tombe au sol, mais garde son couteau dans la main. Jérôme s’approche de lui, et lui donne des coups de pieds dans le bras pour tenter de le désarmer. Malgré cela, le terroriste « se relève » et tente de lui porter un coup de couteau. Le terroriste est finalement neutralisé.
« Il y a un petit garçon qui a perdu son papa »
Depuis ce drame, aucun des trois policiers n’a pu reprendre une vie normale. Cécile n’a pas repris le travail et elle doit revoir les psychiatres. Avec sa famille, elle a déménagé. « On est parti vivre à la campagne. La maison est sous caméra. J’ai failli mettre fin à ma vie plusieurs fois. Il fallait que cet envahissement… Il fallait que ça s’arrête. Mes enfants et mon mari m’ont empêché de passer à l’acte. Heureusement que mes enfants étaient là, sinon, je ne serais plus là aujourd’hui », confie-t-elle.
Cédric a repris le travail peu après l’attentat, mais a fait un malaise et a de nouveau été en arrêt. Il est aujourd’hui en mi-temps thérapeutique et n’exerce plus sur la voirie.
Jérôme a, lui aussi, repris rapidement le travail, mais a changé de commissariat suite à une « ambiance exécrable et des problèmes graves avec la hiérarchie ». Aujourd’hui, il ne va « pas terrible ». « Je vois toujours cette arrivée rue du Buisson Moineau, sur ce corps, sur cette tête. Même si on avait été appelé, on ne savait pas du tout sur quoi on arrivait réellement. La surprise était totale », souligne le policier.
Comme Cécile et Cédric, il est « incapable » d’associer le visage ce jour-là à la photo de Samuel Paty que tout le monde connaît. Cédric, quant à lui, ne cache pas son sentiment de culpabilité. « Pourquoi vous sentez-vous coupable ? », lui demande son avocate, Pauline Ragot. « On n’a pas pu le sauver, tout simplement. Il y a un petit garçon qui a perdu son papa », répond le policier en pleurs.
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